« Mon travail depuis 50 ans s’attache à décrire la ville industrielle, le travail, la culture ouvrière. Comment les changements dans les conditions de production influent sur la vie des ouvriers, des habitants et sur l’image de la ville. ». C’est le credo et la pratique inlassable de Jean-Louis Schoellkopf – né à Colmar en 1946 – qui, depuis plus d’un demi-siècle creuse le même sillon et donne ses lettres de noblesse au style documentaire. S’il a, dans sa jeunesse été tenté par le reportage, il en a très vite perçu les limites et s’est attaché à développer une pratique et une réflexion centrées autour du portrait au sens large. Rentré du Canada, c’est à Saint-Étienne, où il photographie aussi bien la mine et la sidérurgie que les habitants dans leurs intérieurs, qu’il a commencé à analyser les conséquences de la fin de l’ère industrielle sur le quotidien des ouvriers mais également sur le paysage urbain. Toujours la mine à Liévin et au Grand Hornu, la métallurgie à Hayange, le tissage à Louviers, la chimie à Ludwigshafen, mais également Gênes, le quartier Alexanderpolder de Rotterdam, Stuttgart, Barcelone, les XIIIème et XIXème arrondissements de Paris, Lille-Roubaix - Le territoire de Tourcoing, autant de terrains d’enquête, d’expérimentation et de développement de projets. Installé à Mulhouse, il a, logiquement, poursuivi ces travaux dans la claire veine documentaire qui est la sienne et qu’il est un des premiers à avoir perçue, affirmée et défendue comme une pratique artistique. Portraits de travailleuses et travailleurs, donc, généralement frontaux mais également et en toute liberté portraits des habitants qui posent devant le drap blanc d’un studio mobile installé en plein air sur le parvis de La Fonderie. On trouve également d’autres modalités, plus distanciées et à la fois plus poétiques pour évoquer une culture ouvrière avec des photographies de bouquets sans prétention, simplement beaux et naturels et dans les natures mortes de nourriture qui, avec un clin d’œil à la peinture classique mais totalement sobres, cadrent des produits toujours achetés au marché et toujours consommés après la prise de vue. Sobrement cadrée au carré, la série des « bunkers » interroge la brutalité de certains bâtiments et, au-delà, une conception de la ville et de l’urbanisme dans laquelle la question de l’individu est absente ou en tout cas négligée. On voit bien là également comment Jean-Louis Schoellkopf conçoit la photographie comme un outil d’analyse critique et combien son œuvre, sur la durée, est une œuvre engagée. Travaillant à la chambre et au moyen format pour obtenir des images nettes, débarrassées de tout romantisme, Jean-Louis Schoellkopf installe, par séries, des typologies qui nous permettent d’approcher et de lire des pans peu valorisés – entre autres par la photographie – de notre monde contemporain. Aucun sentimentalisme, mais une confrontation directe au monde et une révélation de pans entiers souvent en pleine mutation, voire en train de disparaitre. La présentation, sobre, évitant les effets d’encadrement, donne à voir le tirage – essentiel – dans sa matérialité et dans sa dimension artisanale. Cela prend un sens encore plus fort au temps du numérique dominant et normalisateur. Pour cette exposition, certaines images ont été imprimées de telle façon que le visiteur puisse choisir et emporter avec lui trace de ce travail généreux et exigeant.
Christian Caujolle
SÉRIES EXPOSÉES
Les Travailleurs, région de Mulhouse, 2022 > découvrir le portfolio en ligne
Nourritures, Mulhouse, 2020-2023
Intérieurs, depuis 1986
Les bouquets de Monsieur Cosmos, 1996-1998
Bunker, Ludwigshafen, 2015
Boxeurs et habitants du quartier Fonderie, Mulhouse, 2023 > découvrir le portfolio en ligne
Gênes, la ligne de couture port-ville, 1999
BIOGRAPHIE
Né en 1946 à Colmar, Jean-Louis Schoellkopf pratique la photographie dès la fin des années 1960 au Canada. Tandis qu’il travaille comme technicien de laboratoire il réalise ses premières images et débute son expérience de photographe : portraits d’ouvrier·ères dans les usines, vues de Montréal, portraits de musicien·nes. En 1974, de retour en France, il s’installe à Saint-Étienne où subsiste alors une importante activité industrielle. Après quelques collaborations avec la presse, il renonce à l’idée du reportage pour privilégier la notion de portrait, qu’il conçoit à l’échelle de la ville. Jean-Louis Schoellkopf s’intéresse aux mutations de la ville, à la culture ouvrière et au travail dans les mines. Il s’infiltre dans les usines pour photographier les ouvrier·ères. L’image devient matière à échanger afin de susciter un dialogue avec les travailleur·euses, provoquer une prise de conscience de leurs conditions de travail. Il s’affranchit le plus souvent des règles, ne souhaitant pas se rattacher à un groupe, que celui-ci soit politique ou photographique. À la fin des années 1970, son poste d’éducateur dans un établissement d’aide à l’insertion de personnes en situation de handicap lui ouvre les portes pour réaliser des portraits au sein de différentes institutions. Ce qui donnera lieu à plusieurs séries, dont celle de Joubert (1986). En 1986, le FRAC Rhône-Alpes lui achète un ensemble de photographies de cette série et de celle des Mineurs. Il obtient une bourse de cette même institution pour continuer ses travaux à Saint-Étienne. En 1987-1988, l’école d’architecture de Saint-Étienne lui demande de réaliser des vues de façades d’immeubles. Il joue alors sur l’équilibre entre la représentation de l’habitat et de ses occupant·es. Dans son œuvre, les portraits d’intérieurs constituent un fil conducteur qui dressent une cartographie des manières de vivre en France et à l’étranger. À l’issue de l’exposition de ses photographies à la maison de la culture de Saint-Étienne en 1991, il collaborera plusieurs années avec le journal Libération. À partir du début des années 1990, les expositions se succèdent. Il participera notamment en 1997 à la Documenta, exposition quinquennale d’art contemporain à Cassel. Il poursuivra ses séries de portraits de la classe ouvrière tout au long des années 2000. Jean-Louis Schoellkopf participe ainsi à « documenter » les territoires. Des territoires industriels, en état de désindustrialisation ou au contraire, de réhabilitation. Il s’intéresse aux gens, à leurs activités, à leurs histoires privilégiant un temps long qui inscrit une relation de confiance avec ceux qui sont photographiés.
Infos pratiques
commissariat Christian Caujolle
exposition programmée dans le cadre de la dans le cadre de la Régionale 24
consultez le document de l'exposition
vernissages dans le cadre de la Régionale 24 je. 23 nov.
en présence des artistes et des commissaires (entrée libre)
18h / La Kunsthalle Mulhouse / Exposition Julia Armutt
20h / La Filature / exposition Jean-Louis Schoellkopf et création vidéo Le Zoo, La Nuit d'Anne Zimmermann
table ronde Société en chantier sa. 25 nov. 10h30 à Motoco
L’industrie française, de l’histoire ancienne ?
avec Jean-Louis Schoellkopf (photographe), Régis Boulat et Marie-Claire Vitoux (historien·nes), Henri Eckert (sociologue), Jean-Baptiste Forray (journaliste)
dans le cadre du Forum Latitude organisé par la Librairie 47° Nord
club sandwich je. 7 déc. 12h30 en présence de l’artiste
visite guidée, pique-nique tiré du sac et food truck sur le Parvis
sur inscription au 03 89 36 28 28
coproduction La Filature, Scène nationale de Mulhouse, l'Institut pour la Photographie et Mulhouse Art Contemporain
Jean-Louis Schoellkopf bénéficie du soutien de la Région Grand Est et de la DRAC Grand Est
Voir aussi