CARTE BLANCHE « TRANSVERSALE » À JACQUELINE CAUX
Paroles de femmes, regards de femmes, points de vue sur la féminité et les genres… Tout au long de la saison, plusieurs voix vont s’exprimer : parmi elles, celle de Jacqueline Caux, cinéaste et réalisatrice à qui La Filature, Scène nationale dédie une Carte Blanche. Celle qui est une artiste engagée en faveur des musiques minimalistes, de la techno et des musiques arabes, nous offre un parcours transversal qui invitera les publics à des découvertes et des rencontres musicales inédites.
Quand a commencé votre amour pour la musique et les nouveaux courants musicaux ?
Adolescente, déjà, j’étais une grande fan du free jazz qui s’est affirmé aux États-Unis dès la fin des années 1960, comme en écho au combat pour la liberté mené par les Afro- Américain·es. Je suis ainsi « tombée » dans la révolte des Noir·es américain·es pour leur dignité, et j’ai commencé à développer une vraie passion pour cette culture dans laquelle je me reconnaissais – même si je ne suis ni Noire ni Américaine ! J’ai effectué de nombreux séjours aux États-Unis et ai ainsi eu la chance de rencontrer les Black Panthers, par exemple. Plus tard, j’ai eu envie d’aller à Détroit avec le désir de comprendre ce qui se jouait là-bas avec l’apparition du mouvement techno… C’est ainsi que je suis partie à la rencontre de ces univers artistiques. Enfant, j’habitais Porte de Montreuil, un quartier populaire où les hommes venaient ou revenaient après la guerre d’Algérie… Là, j’ai baigné dans les mélodies que j’entendais émerger des cafés. Bientôt, avec mon mari, Daniel Caux, nous sommes allé·es en Égypte, en Mauritanie, au Maghreb et au Machrek, toujours pour mieux comprendre ces autres univers musicaux. Nous avons toujours été intéressé·es par les mouvements nouveaux. Avec Daniel, c’était notre point d’ancrage. Nous avons ainsi été les premier·ères à inviter en Europe les artistes pionnier·ères de la musique minimaliste américaine, parmi les premier·ères à faire découvrir la musique techno et encore les premier·ères à organiser des festivals de raï en France, à Bobigny, en 1986.
Depuis toujours, vous découvrez et partagez…
Je me suis toujours dit : puisque j’aime ça, d’autres vont l’aimer aussi. Il suffit d’entrouvrir la porte et d’y mettre le pied pour ne pas qu’elle se referme, et un souffle se propage ! Avec la « transe », notamment, je ressens cela : tout à coup, malgré toutes les horreurs que l’on peut vivre, se crée une bulle, comme un refuge, accessible. J’aime que nous nous donnions la main pour aller ensemble vers la beauté. Ce qui est merveilleux avec la musique, c’est que l’intellect et le corps sont comblés !
Et vous continuez à défricher, à faire connaître de nouveaux univers ?
Au moment de la crise sanitaire et des confinements, je me suis rendu compte que le collectif m’avait terriblement manqué et que j’avais envie de faire un peu plus que des films. Faisant le constat que certaines personnes ne franchiront jamais la porte d’un théâtre, je me suis dit : c’est à moi d’y aller ! Rencontrer des associations de femmes sans papiers, intervenir dans des prisons, proposer des modules pour les enfants. Pour les musiques répétitives, la techno ou les musiques arabes par exemple, j’ai à cœur de montrer aux jeunes et aux plus âgé·es la richesse et la beauté de ces cultures. Je ne peux pas changer le monde, mais je peux « faire le colibri… » : il est tout petit mais il fait sa part ! Je participe à ma hauteur et j’espère juste offrir de jolis moments à vivre.
Avec La Filature, Scène nationale, vous participez, cette saison, à une traversée artistique féminine…
J’aime cette notion. La parole des femmes qui vient s’exprimer d’une manière différente tout au long de la saison, d’une manière chorégraphique, théâtrale, musicale… pour moi c’est essentiel. Pour mes expositions, mes livres, mes films, j’ai souvent croisé des femmes, comme lorsque j’ai travaillé sur la thématique des musiciennes arabes à travers les siècles. J’ai rencontré des femmes dans un univers où elles vivent des interdits, des tabous qu’elles doivent braver pour exprimer leur talent, leur force, tout cela sans violence. Ces femmes sont très puissantes dans la compréhension des sentiments, des relations humaines, interhumaines, elles ont beaucoup d’intelligence et de finesse…
Vous avez été entourée de femmes durant votre parcours ?
Pour la plupart de mes films, j’ai travaillé avec une monteuse femme, Dora Soltani. Par contre, du côté de la caméra, c’étaient plutôt des hommes. Ce qui m’importe vraiment depuis toujours, c’est le respect. Je n’ai jamais vécu de situation où j’aurais eu à récriminer… ça aussi, ça compte : mon parcours est un parcours d’affirmation, pas seulement un parcours de lutte. Dans ma vie privée, je n’ai jamais voulu être dépendante. C’était très important. Dès mes dix huit ans, je voulais être indépendante financièrement, matériellement. J’avais mon bureau, mes terrains de repli, afin de pouvoir rester libre. C’est avec le même état d’esprit que je travaille : j’ai toujours fait mes films de manière indépendante – même si j’ai eu de l’aide et des soutiens en production. Je revendique pour moi-même cette liberté de parole, de regard, d’expression, de position. C’est très important : c’est une manière de réaliser ses désirs, et c’est quand même cela qui me/nous motive.
Propos recueillis par Julie Friedrichs en avril 2024